Les sombres blessures de Fouad Elkoury…
LE MONDE | 28.09.02 | 16h11
by Michel Guerrin
Les sombres blessures de Fouad Elkoury
Paris Le mercredi, entre 17 heures et 20 heures, la Maison europ�enne de la photographie est gratuite. C’est une id�e fut�e. Car dans ce cr�neau pourtant fragile, la MEP est noire de monde, de jeunes surtout, qui peuvent "zapper" entre cinq expositions très diverses, une formule qui colle assez bien à l’h�tel particulier : un ensemble d’œuvres très high-tech qui explorent les possibilit�s num�riques (festival@rt Outsiders), les petits panoramiques r�alis�s par Josef Sudek dans le Prague des ann�es 1950, une plong�e t�n�breuse de Klavdij Sluban dans les petites R�publiques qui bordent la mer Noire et ailleurs, les nus r�cents r�alis�s par Irving Penn, 82 ans, avec la danseuse "à la corpulence g�n�reuse",Alexandra Beller.
Et puis il y a Fouad Elkoury, qui pr�sente des photos de plusieurs p�riodes, sous le titre "Sombres". Cela fait des ann�es que ce voyageur dans le monde et dans sa tête, n� à Paris de parents libanais, architecte de formation, à la tête de Groucho Marx (quand il a la moustache), à la fois caustique et grave, d’un humour sec, nous �chappe pour surgir avec un livre ou une exposition. Parti autrefois en Egypte, sur les traces de Gustave Flaubert et Maxime Du Camp, il tient aussi en images la chronique de son �tat physique et mental dans une œuvre autobiographique qui le mène dans des villes devenues son chez-lui : Paris, Beyrouth, Le Caire, Istanbul, Gaza, Rome…
Il y a du Robert Frank, du Raymond Depardon aussi (celui qui mêle textes et images dans son livre Notes) chez ce photographe qui ne cesse de douter, chercher, explorer le style documentaire, noirci par ses sentiments et errances. Ses photos les plus r�centes sont install�es en polyptyques, associ�es avec des anciennes dans des montages à �nigmes, riches en indices dans lesquels le spectateur, au croisement d’une route sans fin, d’une enseigne nocturne, d’une vue maritime, d’un livre d�pos� sur une table, est invit� à embarquer. Ces montages, qui accentuent le c�t� narratif et litt�raire d’Elkoury, ont pour origine ce que ce dernier appelle ses "blessures" : le destin du peuple palestinien, les tours effondr�es du World Trade Center, Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de la pr�sidentielle 2002.
Fouad Elkoury pr�sente aussi, à la MEP, un film documentaire �mouvant, Lettre à Francine, qui associe ses images à des extraits vid�o, sur fond de sa voix monocorde : "Je me souviens parfaitement des photos que je n’ai jamais faites. Ce sont de très belles photos qu’on ne verra jamais." Mais pour mieux entrer dans l’univers d’Elkoury, il faut absolument se plonger dans le livre — un bel objet en fait — qui accompagne l’exposition. On y retrouve les images mais aussi les mots d’Elkoury. Trop courts les mots ! Car il �crit le diable. Et il dit beaucoup de choses. Son texte commence ainsi : "J’ai enterr� ma mère, j’avais 23 ans, elle en avait 44. Je suis arriv� en retard au cimetière, le cercueil �tait d�jà dans la fosse. Je l’ai fait remonter, puis rouvrir, personne n’a os� protester ; j’�tais son fils."
Michel Guerrin
Maison europ�enne de la photographie, 5-7, rue de Fourcy, Paris-4e. T�l. : 01-44-78-75-00. Du mercredi au dimanche, de 11 heures à 20 heures ; 5 � et 2,5 � . Jusqu’au 20 octobre. "Sombres", de Fouad Elkoury, �d. Marval, 138 p., 40 photos, 45 � . Photo © Fouad Elkoury.
• ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU 29.09.02