• LE MONDE | 28.09.02 | 13h10 – by Philippe Dagen

    Date posted: April 28, 2006 Author: jolanta

    Anne de Villepoix, galeriste militante…

    LE MONDE | 28.09.02 | 13h10

    by Philippe Dagen

    Anne de Villepoix, galeriste militante

    A la tête d’une des galeries les plus actives de Paris, elle porte un regard s�vère sur le march� de l’art fran�ais, trop institutionnel à son goût.

    Dans l’escalier qui conduit au dernier �tage de sa galerie — une salle meubl�e en tout et pour tout d’une grande table et de ses chaises —, elle lance : "Je suis une militante." Bonne d�finition.

    Sa biographie illustre ce dernier principe. En d�pit de sa jeunesse — elle ne dit pas son �ge, mais on le devine ais�ment —, elle peut se flatter d’avoir d�jà eu plusieurs vies. La première a �t� celle d’une jeune fille de bonne famille, dans une Normandie de propri�taires terriens, de fermes et de m�tayers. Le village s’appelle Villepoix, naturellement. La g�n�alogie remonte loin. Greniers et armoires de la maison familiale sont pleins de souvenirs et de vêtements qui ont appartenu aux aïeules de Mlle de Villepoix.

    Laquelle, nonobstant ses origines, choisit de s’inscrire aux beaux-arts de Rouen. "Je voulais m’�chapper." Elle y r�ussit, presque trop bien. "Je me suis retrouv� avec des fous. Il y en avait un, obs�d� du Moyen Age, qui venait à l’�cole avec une armure. Un autre ne traversait la cour qu’avec un pantalon sur lequel il avait coll� des coquilles de moules jusqu’aux cuisses." Par souci d’�quilibre et de culture, elle ajoute aux beaux-arts des �tudes d’histoire de l’art à Paris. En 1981, elle obtient son dipl�me à Rouen. "A cette �poque, il y avait une s�lection. Nous �tions 35 à l’entr�e et 5 dipl�m�s à la sortie." Ses travaux d’alors se ressentent des influences associ�es d’Annette Messager et de Christian Boltanski. Alors que ses condisciples font de la peinture, elle reconstitue une armoire-reliquaire, allusion à ses origines. "J’ai eu le dipl�me, mais j’�tais complètement d�cal�e par rapport aux enseignants. J’avais le sentiment de n’être absolument pas accompagn�e. Le seul qui s’est int�ress� à mon travail, ce fut Georges Perec, qui avait �t� invit� à visiter l’�cole. Il m’a d�fendue. Mais il est mort peu après."

    Cette solitude, le peu d’attention qu’elle obtient l’incitent à commencer sa troisième vie. Avec quelques amis, elle fonde, toujours à Rouen, la Grande Serre, lieu associatif d’expositions et de spectacles. "On n’avait pas d’argent. N’empêche, on fait la première exposition fran�aise de Rosemarie Trockel, celle de Piffaretti, de Novarina. On fonctionnait comme on pouvait. C’est là que j’ai appris à conna�tre l’administration, le c�t� minable des gens dans les bureaux." Suit une �vocation cruelle — trop cruelle pour être cit�e… — de la DRAC (direction des affaires culturelles) de Haute-Normandie. "Au bout de trois ans, on a ferm�." Que devenir ? L’enseignement ne lui pla�t plus depuis qu’elle a rat� le Capes d’arts plastiques —"pour deux points…" — et qu’elle a connu les lyc�es techniques, "où c’�tait un avantage d’avoir appris le judo". Le m�tier de conservateur ne la tente pas plus.

    ELLE APPREND SEULE LE M�TIER

    L’ange du miracle a les traits du galeriste Yvon Lambert. Il propose à Anne de Villepoix la direction de sa "petite" galerie, rue du Grenier-Saint-Lazare, lui, gardant la haute main sur le bel espace de la rue Vieille-du-Temple. Elle h�site. Elle accepte. Sa quatrième existence commence en 1986. Elle dure encore, en d�pit d’une brève interruption entre 1989 et 1990. "Yvon est un homme d’intuition, qui d�lègue, qui sait faire confiance. Il m’a laiss� apprendre le m�tier toute seule."Elle apprend vite, dans la galerie et en voyageant aux Etats-Unis et en Allemagne, à New York et à Cologne. Elle apprend si vite qu’en 1990 elle ouvre sa propre galerie. "J’ai pris la d�cision en mars. En septembre, j’ouvrais."Dix ans plus tard, la galerie n’est plus à la Bastille, mais près du Centre Pompidou. Elle est beaucoup plus grande, beaucoup plus belle que la première.

    Autant de signes de succès. "Les consid�rations commerciales sont peu importantes. Je ne pense pas en ces termes. Je ne suis pas devenue riche. La galerie, c’est une aventure intellectuelle. J’expose ce que j’aime et que j’ai envie de d�fendre. J’ai un rapport très fort avec les artistes." Elle a d�cid�, au d�but des ann�es 1990, de d�fendre la photographie. "Il y avait alors beaucoup plus de choses qui m’int�ressaient en photo qu’en peinture", dit celle qui a montr� Val�rie Jouve, Beat Streuli, Walter Niedermayer et Jean-Luc Moulène et continue à les d�fendre, tout en pr�sentant aussi d�sormais les peintures de Joyce Pensato ou les installations de Barth�l�my Toguo et Franck Scurti.

    Ainsi a-t-elle travaill� à la promotion de la photographie contemporaine, dans laquelle sa galerie a jou� un r�le pionnier. Ce qui ne l’empêche pas de mesurer l’�volution du ph�nomène et de la juger n�faste : "Aujourd’hui, la photo est devenue un acad�misme, elle a �t� envahie par les suiveurs. Il est arriv� la même chose avec la vid�o, qui est tomb�e dans un acad�misme total. N’importe quel imb�cile qui filme son corps avec sa cam�ra se croit un artiste. Aucun int�rêt." La critique est sans nuance.

    Celle qu’elle porte sur la situation de l’art fran�ais n’est pas plus encline aux compromis et à la complaisance. "Les mus�es fran�ais n’ont pas de strat�gie internationale. On se plaint de la faible pr�sence des Fran�ais à l’�tranger. Mais que fait-on ailleurs ? Les Anglais exposent les artistes anglais, les Am�ricains exposent les artistes am�ricains. Que les mus�es fran�ais exposent les artistes fran�ais, et ensuite on verra. Et qu’on allège le poids des institutions. Le seul march� qui existe et qui ait un sens, c’est le march� priv�. Le march� institutionnel est un faux march�. Or, en France, il prend toute la place. Il obsède les artistes, qui pr�fèrent n�gocier avec les institutions , la DAP ou l’AFAA, plut�t qu’aller dans les foires ou rencontrer les collectionneurs priv�s et des artistes �trangers qui pourraient les aider à exposer dans leurs pays. Alors que l’efficacit� des institutions sur le plan international, c’est niet de niet de niet."

    Le ton est à la colère. Il s’apaise dès qu’elle en revient à son sujet de pr�dilection, sa raison de vivre : ses aventures avec les artistes. Elle raconte avec volupt� sa première visite chez Chris Burden en Californie, dans son ranch, dans le d�sert, en haut d’un canyon. "J’avais lou� la voiture la moins chère, la plus petite. J’ai cru que je n’arriverais jamais en haut. Je me sentais la petite Fran�aise ridicule. J’�tais mal." La "petite Fran�aise" a su convaincre l’artiste d’exposer chez elle. "Il n’avait jamais vu une galerie aussi petite." Il a accept� n�anmoins. Dans quelques jours, il recommencera. La "militante" a gagn�.

    Play time, installations et performances, Grande Halle/Nef Sud, avenue Jean-Jaurès, Paris-19e. T�l. : 01-40-03-75-75. De 18 h 30 à 0 h 30 le 28, de 11 h 30 à 22 h 30, le 29 septembre. Entr�e libre.digit@rt,Cit� des sciences et de l’industrie, avenue Conrentin-Cariou, Paris-19e. T�l. : 08-92-69-70-02. De 10 heures à 18 heures, le 28 et de 10 heures à 19 heures le 29 septembre. 7,5 �.

    Philippe Dagen

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